Laurent Berger, aux mondes irréels

Ce qu’il y a de bien avec les chansons de Laurent Berger, c’est qu’elles sont comme le bon vin, elles ont du corps, de la matière, de la longueur. Elles ne vous lâchent pas l’oreille facilement, ne jouent pas avec les codes d’une séduction éphémère et sans lendemain. Elles ont l’air de ce qu’elles sont, des chansons ancrées dans la poésie du réel et des sentiments. Alors, quand un nouvel album parait, on a l’impatience de la découverte. Avec son sixième opus, aux mondes irréels, Laurent Berger nous offre 12 nouvelles compositions, où l’on croise l’enfant vague, des oiseaux déplumés, des châteaux d’eau, des prisons de femmes. L’album en main, ily a tout d’abord le visuel de la pochette, crée par Laurent, qui n’a pas que six cordes à sa guitare, mais bien d’autres talents, comme ceux, plus discrets, de photographe et de graphiste. On y voit le corps d’une femme ressemblant à une statue, sans bras, sans tête, ni seins, comme mutilé, qui semble annoncer la très émouvante chanson Prisons de femmes, aux mots portés par une mélodie tendre et mélancolique à la fois.

Mais la main baladeuse

Au cul de la serveuse

À votre avis des deux

Qui baissera les yeux

Qui baissera le front

Sous le poids de l’affront

Des cailleras qui la croisent

Des quadras qui la toisent

Des surnoms comme injures

Et des regards blessures

Un sifflet une lame

Prisons des femmes

Laurent dit porter cet album en lui depuis le premier confinement, et l’avoir conçu comme au temps de ses premiers enregistrements dans le sous-sol de la maison familiale. Est-ce pour cela que l’on ressent une telle proximité avec ce qu’il nous chante, comme s’il nous parlait à voix basse de ces Mondes irréels, première chanson de l’album

Aux mondes irréels

Et aux cieux incrédules

À ces beautés partielles

Qui font nos crépuscules

À nos vérités crues

Superbes et naïves

À nos idées reçues

Nos sciences maladives

À nos livres voyages

Qui ne sauraient suffire

Nos folies d’enfants sages

Impossibles à bannir

L’amour, cet éternel sujet qui nous occupe le temps de nos vies, n’échappe pas aux mots de Laurent, et c’est en marin renonçant à la mer qu’il nous le raconte

Moi qui étais marin

Je ne pouvais m’attendre

À me trouver matin

Pris dans les mailles tendresse

De tes caresses pleines

Du filet de tes mains

De ton chant de sirène

Où s’échouent mes refrains

L’humour n’est pas en reste, teinté de surréalisme, comme dans cette chanson au sujet pour le moins inhabituel, Les châteaux d’eau, où les références liquides ravivent  nos souvenirs qu’ils soient musicaux, littéraires, cinématographiques ou même sportifs

Qu’y a-t-il en haut

De ces châteaux d’eau

Qu’on voit sur nos plaines

Baignoire ou fontaine

Je boirai de votre eau…

Des nageurs est-allemands

Encore à l’entraînement

Leur dira-t-on jamais

Que le mur est tombé

Une fanfare aphone

Jouant sous-marin-jaune

Qu’un traducteur expert

Aurait repeint en vert…

Anita Marcello

Baleines cachalots

Sardines marseillaises

Qui s’ébattent à l’aise

Un vieil homme et sa barque

Pêchant au fil des Parques

Et sur son flamant rose

Camille qui prend la pose

Qu’y a-t-il en haut

De ces châteaux d’eau

Que l’on voit partout

Ça m’intrigue beaucoup

Mais tout le monde s’en fout

Aux mondes irréels est de ces albums qui porte le monde sur les épaules des mots dans ce qu’il a de pire mais aussi de beau. Le mettre sur son lecteur, c’est se garantir des moments de découvertes et de plaisirs qui seront de longue écoute, et qui me font dire que les chansons sont à l’exemple des arbres, les racines de nos espérances

Il y a des arbres comme des nuages indiens

Qui portent leurs messages à qui sait regarder

À qui sait se laisser corps et biens envelopper

Jusque dans les ornières et les boues du chemin

Ils savent caresser l’espérance de chacun.

                                                                       Didier Venturini

Laurent Berger est un artiste qui vit dans la région iséroise, à Voiron. Son album aux mondes irréels, ainsi que les cinq précédents sont disponibles ici:

https://laurentberger.com

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