Mareike Engelhardt lors de la présentation de son film au Comoedia ( photo JFM )
Quand on pense à l’Etat Islamique et à la fascination qu’il a pu susciter chez certains jeunes en Occident on imagine des garçons issus de l’immigration assoiffés de désir de combattre .C’est oublier un peu vite que parmi les nombreux volontaires qui ont rejoint Raqqa, l’éphémère capitale du califat autoproclamé de Daech, il y avait environ un tiers de néo-convertis, étrangers à toute tradition musulmane et originaires de presque tous les pays du monde ! Et parmi eux de nombreuses femmes le plus souvent jeunes voire très jeunes ! C’est à elles que Mareike Engelhardt s’intéresse avec « Rabia » un film nourrit par une enquête très approfondie auprès de femmes ayant vécu cette expérience et de spécialistes du djihadisme féminin..
Rabia s’est le nom qu’adopte une jeune française de 19 ans, Jessica ( Megan Noortham, très convaicante et nuancée ) quand elle arrive, débordante d’enthousiasme , à Raqqa . Nouveau nom pour une vie nouvelle pense cette jeune blonde aux yeux bleus. En le choisissant Jessica pense-t-elle à sa signification en arabe « jardin » ou bien à son sens en espagnol » rage » ? Quoiqu’il en soit la vie qui l’attends n’a rien de champêtre : elle est confinée dans un sinistre bâtiment , une » madafa », monde clos exclusivement féminin où les nouvelles recrues sont préparées à devenir de parfaites épouses pour les combattants du djihad et à enfanter de futurs soldats de l’Etat Islamique . Une discipline de fer est imposée dans cette étrange institution à la tête de laquelle se trouve « Madame », maitresse toute puissante, à la fois terrifiante et séduisante, qui règne sans partage sur chacune . Ce personnage , incarné avec beaucoup de subtilité par Luana Azabal, est inspiré de la marocaine Fatiha Mejjati qui a réellement dirigé plusieurs madafas à Raqqa. En fuite aujourd’hui elle est poursuivie pour crime contre l’humanité !
Le film nous force à nous poser la question des raisons de l’engagement : qu’est-ce qui fait que l’on peut embrasser sans limite une cause et persévérer dans ce choix même quand on perçoit qu’elle n’est pas aussi noble qu’on l’avait rêvée et ceci jusqu’à se rendre coupable des pires atrocités.? Et cette question dépasse le cadre spatial et temporel du djihad islamique : Mareike Engelhardt nous a dit qu’elle se la posait constamment à propos de ses grands-parents, militants fervents du grand Reich nazi dans les années 30 et 40 du siècle dernier ! Elle souligne d’ailleurs le ressemblance entre les Madafas et les « Lebensborns » ces maternités spéciales où on voulait créer des aryens parfait en organisant l’accouplement de femmes sélectionnées comme pures aryenne ( grandes , blondes aux yeux bleus etc….) et de SS !
A part quelques scènes d’extérieur prises en Jordanie et quelques images d’actualité filmées à Raqqa avant et après la reprise de la ville par la coalition anti-EI, le film a été tourné ….. en Aquitaine , dans une usine désaffectée. Ce décor donne une parfaite image de la madafa, lieu sombre et clos , avec de multiple pièces aux fonctions diversifiées ( ateliers, entrepôts, dortoirs, salle de torture, cellules, cuisines ) dont l’apparent désordre cache une organisation hiérarchisée des sous-sols grouillants jusqu’aux appartements de Madame, chambre, salon et bureau modernes et aèrés . Toute la distribution est convaincante et donne beaucoup d’authenticité à ce récit basé sur des faits réels . La réalisatrice ne verse jamais dans le sensationnalisme , la violence, omniprésente dans la madafa, est rarement montrée , sans aucune complaisance .
Rabia est un film important qui nous force à réfléchir en remettant en cause nos idées toutes faites . C’est aussi une belle réussite cinématographique, un premier film remarquablement maitrisé, oeuvre sincère et expressive d’une réalisatrice à laquelle on peut prédire une belle carrière !
JEAN-FRANCOIS MARTINON