« HIVER À SOKCHO » un film (et un livre ) délicats et sensibles

Roschdy Zem et Koya Kamura lors de la presentation du film au Comoedia ( photo JFM )

             « Hiver à Sokcho » c’est d’abord un livre, le premier livre d’Elisa Shua Dusapin, une jeune autrice Franco-Coréenne : elle avait 24 ans à la publication du livre en 2016. Ce bref ouvrage, est composé de très courts chapitres juxtaposés,  présentant  chacun une courte scène, un instantané, de la vie d’une jeune femme. Celle-ci, née d’un père français qu’elle n’a jamais connu et d’une mère coréenne, est employé dans un petit hôtel de Sokcho, une ville balnéaire vide de touristes dans la morte saison. L’arrivée dans l’hôtel d’un français va bouleverser son quotidien et entrainer une remise en cause de sa vie routinière , même si cet étrange touriste, dessinateur de B.D de son état, est quasi mutique et peu demandeur de contact. Le roman avance à petites touches, faisant entrevoir peu à peu la personnalité fragile de la narratrice, jamais nommée .On remarquera que l’ouvrage s’intitule « Hiver à Sokcho » et non pas « Un hiver à  Sokcho » encore moins « L’ hiver à Sokcho » : c’est que , dans le livre, tout est hivernal , pas seulement la période ou les paysages mais aussi  les sensations, le sentiments de la narratrice qui semble comme gelée, pétrifiée même, dans un hiver suspendu sans perspective d’évolution.  Je ne serai pas là au printemps  » dit Kerran, le français.

              On comprend que Koya Kamura, franco-japonais élèvé en France mais ayant tenu à étudier aussi au Japon pour renouer avec ses racines, ait été tenté de faire de' » Hiver à Sokcho » son premier long métrage . Mais l’entreprise n’avait rien de facile . Certes le roman est très visuel , avec des descriptions précises et de scènes bien campées mais il est vu du point de vue unique de la narratrice ( le récit est à la première personne du singulier ) qui se remémore un moments de son passé ( le livre est à l’imparfait ) Et, dans ce singulier monologue ce qui n’est pas dit est au moins aussi important que ce qui est raconté, beaucoup de chose se passent dans les intervalles entre les chapitres ! Koya Kamura ( avec l’aide de Stephane Ly-Cuong ) s »est chargé de l’écriture du scénario, l’autrice ayant décliné la proposition d’y participer sans pour autant ce désintéresser du projet : elle est venue plusieurs semaines sur le tournage. C’était un travail délicat : il fallait trouver  » un équilibre entre le respect et l’adaptation  » nous a dit le réalisateur. Pour exprimer l’indicible, il a décidé de faire appel à de brefs moment d’animation , tantôt figuratifs et tantôt abstraits, qui reflètent les sentiments du personnage principal. Ces intermèdes très courts,  dus à Agnès Patron, sont surprenants et énigmatiques : en aucune façon ils ne disent au spectateur ce qu’il doit comprendre, ils ne sont jamais explicites mais lui font partager des sensations, une ambiance.

               Pour incarner l’ héroïne  Koya Kamura a choisi Bella Kim , une coréenne vivant en France depuis 9 ans. Mannequin c’est son premier rôle au cinéma : elle incarne avec beaucoup de grâce Soo-Ha, une jeune femme à la recherche d’elle même. Pour jouer Ferrand, le dessinateur français, Roschdy Zem s’est re-inventé en personnage bourru et taciturne, taiseux, très impressionnant. Son identité franco-marocaine, que n’a pas le personnage du livre ( mais il y est décrit de façon si vague que rien ne s’oppose à ce qu’il le soit ) « ne détonne pas au milieu de tous ces franco- quelque chose » nous a-t-il fait remarquer en riant . De toutes façons, a-t-il ajouté « je sais ce qu’il en coûte de passer du livre au cinéma,  d’ailleurs je n’ai pas lu le livre ! ». Quoiqu’il en soit  il est remarquablement juste dans ce rôle  » d’un personnage qui s’offre le luxe de ne pas vouloir être aimé » ( c’est lui qui l’a dit ! ), gardant sans cesse une part de mystère, comme s’il s’efforçait de préserver un secret . Les autres protagonistes, joués  par des acteurs parait-il réputés en Corée mais inconnus chez nous, sont très convaincants. Les paysages enneigé de Sokcho, station balnéaire en hibernation, et de la campagne environnante, jusqu’à la frontière de la Corée du Nord, exhalent une mélancolie qui convient parfaitement à l’histoire.

             « Hiver à Sokcho » est un livre brillant, multiprimé à raison. L’excellent film de Koya Kamura en rend très bien la subtilité. Il donnera, sans aucun doute, à ses spectateurs l’envie de découvrir ce beau texte … ou d’autres oeuvres de Madame  Elisa Shua Dusapin dont le quatrième roman est paru en 2023.

 « Hiver à Sokcho »  roman d’ Elisa Shua Dusapin, éditions Zoé,  2016 / Film de Koya Kamura  sur nos écrans le 8 janvier 2025

Jean-Francois Martinon

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