Un soir aux couleurs et aux sons de l’Afrique. Tout le monde se lève pour Tiken Jah Fakoly. La fièvre gagne le public dans un Espace Malraux plein à craquer pour ce concert donné dans le cadre du festival Ciné Bala. Frédérique Payn ne boude pas son plaisir de voir autant de jeunes dans l’établissement qu’elle dirige depuis maintenant un an et demi. La même semaine, c’est un autre public mais tout aussi enthousiaste venu découvrir l’adaptation décoiffante de « Cosi Fan Tutte » par Antonio Cuenca Ruiz et Maël Bailly. Deux soirées qui nous feront heureusement oublier l’interminable bricolage soporifique proposé la semaine précédente au théâtre Charles Dullin (« Voyage au pays de l’inséparé »). La directrice assume tout, les paris risqués comme les succès garantis, les créations fragiles et les spectacles-fleuves, comme « L’art de la joie », avec cinq heures trente de théâtre éblouissant en septembre dernier. Mais comment s’y retrouve-t-elle dans la diversité des spectacles programmés ? (1)
« Pour moi, il n’y a pas de contradiction entre le festival Ciné Bala et l’identité savoyarde, avec sa tradition d’accueil, d’hospitalité et de curiosité de l’autre. J’y suis très sensible et c’est pourquoi je propose cette diversité. Il y a toujours de l’étrangeté et de l’inattendu dans une démarche artistique. Elle n’émane pas forcément d’une autre culture mais c’est le principe même de la création.
-Comment vivez-vous votre première saison ?
Elle est très singulière. Quand on arrive, on ne connaît pas encore le territoire, on assure une programmation sans encore bien connaître le paquebot dans lequel on navigue. C’est quelque chose de très spontané, sincère, avec des artistes auxquels je crois. Ils abordent des sujets qui me tiennent à cœur : la place des femmes dans la société, la préservation de l’environnement, l’utopie, l’inquiétude des artistes face à une forme de théâtre qui est en train de disparaître.
-Est-ce aussi une manière de prendre le public à témoin ?
-Oui, et de lui faire partager nos métiers, nos techniques. Ce sont des activités à la fois très archaïques et profondément humaines. Je tiens aussi à ce qu’il y ait de l’humour, surtout dans le contexte dans lequel nous vivons.
-Et le public suit ?
-Oui, en étant parfois déconcerté, surpris. Je souhaite qu’il ne soit jamais heurté, ce qui irait à l’encontre de ce que je recherche. Il y a parfois des rendez-vous ratés, des incompréhensions. Mais je veille à ce que l’on ose venir m’en parler et que l’on puisse créer un dialogue.
-L’Espace Malraux a-t-il ses fidèles ou y vient-on au coup par coup selon ses goûts ?
-Une grande partie du public est issue de notre travail de médiation pour assurer une continuité. Nous ne sommes pas juste un organisme de programmation, qui est la partie émergée de l’iceberg. C’est toute la différence entre un établissement de service public et un théâtre privé. Le gros de notre travail est le soutien aux artistes et l’accompagnement des publics par la médiation et notre travail itinérant hors les murs. Le grand enjeu est de provoquer la rencontre avec des œuvres d’artistes d’aujourd’hui. C’est un travail énorme parce qu’elle n’est plus très présente dans les médias et dans notre société.
-Partagez-vous l’inquiétude exprimée dans d’autres villes et régions concernant la baisse des subventions et des aides apportées aux établissements et événements culturels ?
-Nous sommes très vigilants. Nos partenaires publics des collectivités territoriales restent à nos côtés, mais il est certain qu’ils subiront les conséquences des arbitrages financiers de l’Etat. Nous nous préparons à une réduction de nos moyens. Il y aura également moins de spectacles l’an prochain. »
(1) 66 spectacles cette saison. Programme complet sur www.malrauxchambery.fr
PHOTO : La place des femmes dans la société, la préservation de l’environnement, l’utopie, l’inquiétude des artistes face à une forme de théâtre en voie de disparition…Autant de questions chères à Frédérique Payn, directrice de l’Espace Malraux. Photo J.L