Il entre écrasé sous ce chapiteau déglingué qui tente de résister aux assauts de l’orage et de la pluie battante. La scène s’éclaire peu à peu, Philippe Torreton avance sans hâte, engoncé dans son imperméable. Perdu dans ce bric-à-brac qui n’est plus que l’ombre d’un cirque. Il se penche vers une forme dissimulée sous un drap sale. Les mots s’échappent, tendus.
La piste est encombrée d’un fatras où rôdent les fantômes d’une troupe disparue. Seul reste l’artiste maigrichon et boiteux qui s’extrait du drap souillé pour tenter une nouvelle fois de briller sous les projecteurs fatigués. Dans l’ombre, la musique ponctue les gestes gauches et les phrases aériennes de Jean Genet. Un magnifique chant d’amour adressé aux artistes. « Le funambule » a longtemps obsédé le comédien avant qu’il s’en empare. Sans esbrouffe, tout en retenue, pour mieux faire entendre l’acrobatie du verbe qui enflamme peu à peu le circassien. Parfois, les gestes sculptent les phrases, le comédien s’adresse au fil, tendu comme un arc, comme pour le dompter, en déjouer les pièges.
Dans ce jeu à haute tension, chacun est à sa place. L’acteur, le funambule (Julien Posada), le musicien (Boris Boublil) jouent leur partition comme une danse ultime avant la chute. Entre crasse et paillettes, douleur et grâce, la vie souffle un dernier vent de liberté et de beauté avant que les projecteurs cèdent la place à la nuit.
Après « Tout mon amour », déjà créé à la MC2, Philippe Torreton offre au public grenoblois une nouvelle occasion de vivre un moment de théâtre d’une rare intensité. A Lyon, les habitués des Célestins devront patienter jusqu’en mai.
-Grenoble, MC2, jusqu’au jeudi 17. www.mc2grenoble.fr
-Lyon, Célestins,du 6 au 10 mai. www.theatredescelestins.com
PHOTO : Le Funambule, un des grands chocs de cette rentrée théâtrale. A ne pas rater à la MC2 ou aux Célestins. Photo Pascale Cholette