
Le cinéma aura 130 ans le 19 mars 2025 ! On le sait grâce aux travaux de Bernard Chardère ( auquel le film rend hommage ) qui a établi précisément la chronologie de l’invention. A l’automne 1894 Antoine Lumière, le père des frères, assiste à Paris à un spectacle de Kinétoscope, l’invention d’Edison qui permet à un spectateur unique de voir des images animées en se penchant sur le minuscule viseur, « un trou d’un pouce de diamètre », après avoir payé un quarter, of course, business is business ! Antoine Lumière est impressionné et pense aussitôt qu’il faudrait projeter l’image sur un écran, comme on le faisait pour le spectacles de lanterne magique . « Je vais demander à mes fils de s’occuper de cela ». Ceux-ci, Auguste et Louis, s’ils n’ont guère plus de trente ans ne sont pas des inventeurs débutants : ce sont eux, ( Louis surtout, en fait ,mais ils se sont jurés de toujours partager le mérite de toutes leurs découvertes ), qui ont mis au point la plaque photographique sèche qui fit la fortune de la famille..Pour sortir les images animées de la boite d »Edison il faut concevoir un autre système, une machine complètement nouvelle …. qu’invente Louis lumière « en une nuit d’insomnie » dit-on. Le prototype est rapidement construit et, pour démontrer l’efficacité de l’appareil à la « société d’encouragement pour l’industrie nationale » le 22 mars 1895, Louis Lumière projette une « vue photographique animée » qu’il a tourné le 19 mars : c’est « La sortie des ouvriers de l’Usine Lumière », le premier film de cinématographe . Durant l’année Louis Lumière tourne d’autres films et le 28 décembre 1895 , son pére organise , à Paris, la première projection publique et payante, bientôt suivie par beaucoup d’autres ! Devant ce succès éclatant les Lumière forment dès le début 1896 des opérateurs qu’ils expédient aux quatre coins du monde. Là ils tournent, développent et projettent des vues animées qui sont ensuite envoyées à Lyon. L’entreprise Lumière constitue, à partir des envois des opérateurs et de films tournés sur place avec des intervenant très divers ( acrobates, danseurs, prestidigitateur… ) un vaste catalogue, plus de 2000 films de 50 secondes qui sont diffusés partout . Cette activité durera une dizaine d’années avant que les établissements Lumiere ne se recentrent sur leur activité principale, la photographie;
C’est à partir de ce corpus de « vues animées », magniifiquement restaurés en 4K, que Thierry Frémaux a constitué ses films : « Lumière ! l’Aventure Commence » ( 2016 ) et « Lumière l’Aventure Continue ! » qui sort le 19 mars prochain, juste 130 ans après le tournage de « La Sortie des Ouvriers de l’Usine Lumière » ! Toutes les images de ces deux films ( à l’exception d’une brève présentation des remake contemporains du 1° film ) sont dues aux frères Lumière ou à leurs opérateurs : choisies et commentées par Thierry Frémaux elles s’organisent en un discours fluide et très clair, facile à suivre, d’autant plus que la musique de Gabriel Fauré, un contemporain des frères Lumière, accompagne le propos sans jamais le couvrir.
Comme le faisait son prédécesseur « L’Aventure Continue ! »commence par rappeler le contexte de l’invention et des débuts du cinématographe et c’est bien nécessaire puisque les deux films sont indépendants . Contrairement à ce que j’ai pu prétendre, honte sur moi ! , il le fait en s’appuyant sur d’autres films Lumière que dans 1e premier, Thierry Frémaux nous l’a assuré . Cela montre la grande richesse du catalogue Lumière dont seule une petite fraction est connue, et aussi l’habilité du réalisateur qui sait faire feu de tous bois pour illustrer son propos ! Après cette introduction le film développe deux idées force : la première c’est que les films Lumière sont des oeuvres artistiques à part entière. La seconde est qu’ils nous donnent une image du monde à l’orée du XX°sieclel
Depuis cent trente ans on a beaucoup célébré, à juste titre, l’ingéniosité des frères Lumière, inventeurs inspirés, expérimentateurs de geniie, voir bricoleurs illuminés ! Bref ils sont reconnus comme savants mais on oublie souvent de les célébrer comme artistes ! Et pourtant ! Le film de Frémaux montre à l’évidence que les « vues animées » de la maison Lumière ne sont de simples documents, des instantanés anecdotiques : ce sont de véritables oeuvres d’Art . Les images des films Lumière sont remarquablement composées, leurs réalisateurs savent tirer partie du hors champs et choisir avec soin la place de la caméra, usant parfois de plongée ou de contre-plongée, utilisant avec habileté toute la profondeur de champs. Bientôt ils inventeront le traveling. Et ceci est d’autant plus remarquable que leur matériel est encore rudimentaire : la caméra n’a pas de viseur et est fixe sur son pied. Incontestablement les Lumière et leurs opérateurs ont posé les bases d’un art, le 7° et non d’un » divertissement d’ilotes », n’en déplaise à Georges Duhamel !
L’image des années 1900 que nous donne les films Lumière est parlante, concrète, spontanée. On y voit un monde optimiste et sûr de lui, abordant avec confiance un siècle nouveau, sous le signe de la Science et du Progrès (avec des majuscules). Un monde bien loin de prévoir les catastrophes que lui réserve le futur proche, pensons nous de notre point de vue de 2025 ! Une « Belle Epoque », donc, comme on le dira, plein de nostalgie , dans l’entre-deux-guerres. Mais cette image, celle qu’assurément veulent donner les Lumière, est elle vraiment réaliste ? L’affirmer c’est oublier que les oppositions de classe sont fortes dans cette société et qu’une large partie de la population n’a pas accès au style de vie que montre les films Lumière . Oublier aussi que la prospérité de l’Occident repose sur l’exploitation forcenée des peuples soumis du reste du monde. Et encore qu’au coeur de l’Europe les revendications nationalistes font rage et que les rivalités économiques et militaires s’aiguisent, rendant inéluctable l’explosion générale. De cela les réalisateurs Lumière ne parlent , ne veulent pas parler. Mais les films enregistrent tout ! Les ( rares ) ouvriers qu’ils montrent sont embellis ( Fremaux insiste avec finesse sur la belle chemise blanche dont on a paré un forgeron et les ouvrières de l’usine Lumière semblent bien s’être endimanchées pour figurer sur le premier film ! ). Les quelques « indigènes » qui sont montrés à l’écran sont soit ridiculisés, soit présentés comme naïvement reconnaissants. Et l’omniprésence des militaires dans les films du catalogue Lumière, même s’ils sont parfois présentés sous un angle bon enfant, montre que cette société prépare la guerre !….
I l faut absolument aller voir « Lumière l’Aventure continue ! » …. et attendre avec impatience que Thierry Frémaux nous présente de nouveaux trésors de l’inestimable collection Lumiere sur laquelle il veille fidèlement avec toute l’équipe de l’institut Lumière, sis , comme on le sait , RUE DU PREMIER FILM ! À Lyon, bien sûr !
JEAN-FRANCOIS MARTINON